dimanche 29 mai 2011

Alexandre Khatissian et la Première République d'Arménie



Aujourd'hui est commémorée en diaspora le 28 mai 1918, date de l'indépendance de la Première République d'Arménie. Revenons sur les événements qui vont conduire à cette déclaration d'indépendance au travers de la vie politique d'un homme: Alexander Khatissian.

Alexander Khatissian est né à Tbilisi le 17 février 1874. Il étudie la médecine dans les universités de Moscou et Kharkov puis part terminer ses études en Allemagne. Il revient en 1900 à Tbilisi et en 1902, il commence une carrière politique en tant que porte-parole du conseil municipal de Tbilisi avant d'en devenir maire entre 1910 et 1917. Il sera le dernier maire arménien de la ville. En 1914, il prend la direction du Comité caucasien de l'Union des maires et est l'un des organisateurs de l'aide aux réfugiés arméniens venus de Turquie. Entre 1915 et 1917, il est élu à la tête du Conseil national arménien à Tbilisi.



Après la Révolution d'Octobre en Russie, la Transcaucasie (Arménie, Azerbaidjan, Georgie) en réaction crée un Commissariat transcaucasien en novembre 1917 avec à sa tête Noé Jordania, Kadjaznouni et Khatissian entre autres,et un parlement transcaucasien Seim en février 1918 qui proclame l'indépendance de la République Démocratique de Transcaucasie sous la pression des turcs qui progressent dangereusement dans le Caucase, ayant pris le contrôle de Batoumi. Pour Khalil Bey, l'indépendance de la Transcaucasie est une condition sine qua none à toute négociation de paix. En mars 1918, à Trébizonde est envoyée une délégation arménienne avec Khatissian et Kadjaznouni pour signer le traité de Batumi. Cependant les turcs reprennent leurs offensives et se dirigent vers Tbilisi et Yerevan. Les géorgiens cherchent la protection de l'Allemagne et l'Azerbaidjan celle des turcs. L'Allemagne impose aux géorgiens de quitter la coalition de Transcaucasie, de prendre son indépendance en tant que République pour lui offrir sa protection, ce qu'elle va faire le 26 mai. Le lendemain, c'est l'Azerbaidjan qui proclame son indépendance dans une chambre d'hôtel à Tbilisi. Dans la panique, Khatissian veut l'indépendance et négocier avec les turcs immédiatement. Simon Vratsian, l'un des membres fondateurs du parti y est favorable mais une partie des dashnaks y sont opposés. Finalement, après de longues heures épuisantes de débats, le 28 mai 1918 l'Arménie est le dernier pays de Transcaucasie à proclamer son indépendance, quelques heures avant la fin de l'ultimatum turc et une délégation composée de Katchaznouni, Khatissian et Papadjanian sont envoyés à Batoumi conclure la paix avec les turcs.

Le Conseil National Arménien se dote alors d'un gouvernement, dominé par la présence de dashnaks et dirigé par Hovhannes Katchaznouni. Le 30 mai est publiée la déclaration suivante:

"Devant la situation nouvelle crée par la liquidation de l'entité politique transcaucasienne et les proclamations d'indépendance de la Géorgie et de l'Azerbaidjan, le Conseil National Arménien se déclare la seule et supreme autorité sur les provinces arméniennes." Notons que ni les mots "indépendance", "arménie" et " république" ne sont prononcés, ce qui montre bien que le Conseil a agi sous la pression des événements, que les convictions idéologiques n'ont joué aucun rôle dans sa décision. D'ailleurs à yerevan , il n'y a aucune effusion de joie à l'annonce de cette indépendance, dans une Arménie acculée de toute part, par les réfugiés du Génocide, les paysans miséreux et la progression constante des turcs. Puis prié de quitter la capitale de la nouvelle République de Géorgie, le Conseil se transfère à Yerevan en juillet. Là, on écrit en toute hâte un hymne "mer hayrenik" et crée un drapeau tricolore: rouge, bleu, orange, rappelant les armes des Lusignans, dernière dynastie du royaume arménien diasporique de Cilicie.

Pourtant, dans les derniers jours de mai 1918, un événement militaire va redorer le blason arménien et souder la nation: la "victoire" de Sardarabad.

Entre le 21 et le 28 mai, simultanément à Karakilissé sous le commandement du général Nazarbekian, et à Sardarabad, sous le commandement des généraux Silikian et Beg Piroumian, les arméniens vont réussir à stopper la progression de l'armée ottomane. A Batoum, Vehib Pacha confiera à A. Khatissian que la "fougue, le courage et la valeur" dispensés pendant la bataille de Sardarabad, lui avaient rappelé les combats les plus opiniâtres des Dardanelles. Khatissian confirmera plus tard que les batailles de Sardarabad et Karakilissé avaient donné "à notre peuple cet esprit guerrier et cette volonté qui sont indispensables pour former un Etat indépendant". Cet événement marquera les esprits et deviendra très vite un mythe. Mais cette victoire ne peut masquer la réalité d'un pays multi-ethnique en proie à de graves crises, politique et financière, livré à lui-même, d'une superficie de 11.000 m2 de hauts-plateaux, de montagnes arides et de steppes centré autour de Yerevan. Les frontières ne sont pas clairement définies entre l'Arménie et l'Azerbaidjan, ce qui va poser beaucoup de problemes par la suite.

Alexander Khatissian jouera un rôle très important pendant la courte durée de cette première république, tout d'abord en tant que ministre des Affaires Etrangères, de novembre 1918 à août 1919 où il devient le Premier Ministre de la République d'Arménie, jusqu'en mai 1920. Là, il prend la tête de la Délégation arménienne en diaspora pour trouver des fonds et soutenir financièrement la jeune République mais le 2 septembre 1920, le gouvernement est renversé et remplacé par les bolcheviks arméniens. Khatissian s'installe alors à Paris où il poursuit son rôle de président de la Délégation arménienne. En décembre 1920, Le gouvernement de coalition dirigé par Dro déclare Khatissian "libre de signer ou de ne pas signer le traité", ce traité qui laisse une Arménie à 27.000 km2, sans Kars, Nakhitchevan et Zanguezour, et Khatissian conscient des lourdes responsabilités qui pèsent sur lui: renoncement au traité de Sèvres, aux provinces d'Arménie occidentale et une armée arménienne réduite à 1.500 hommes. Pressée par les populations arméniennes de signer la paix, il signe le traité d'Alexandropol la mort dans l'âme dans la nuit du 2 ou 3 décembre. Avec la soviétisation de l'Arménie vient le temps de l'épuration qui n'épargne pas les dirigeants politiques dont Khatissian qui, avec quelques autres, est autorisé à s'exiler en Géorgie. De là il rejoindra Paris. En 1922-1923, il est présent à la Conférence de Lausanne aux côtés d'Avedis Aharonian pour exposer et défendre les intérêts de la nation arménienne auprès de la Société des Nations. Il meurt à Paris le 10 mars 1945 et est enterré au Père Lachaise.

samedi 23 avril 2011

Le Tamada: une tradition caucasienne

Les traditions et les coutumes d'une civilisation sont en général très instructives quant à la mentalité, au mode de vie et aux croyances du peuple qui la compose et quand celles sont communes à plusieurs peuples d'une même zone géographique, cela se révèle encore plus intéressant.

La tradition du banquet et le rôle du « tamada » se retrouve commune dans les trois pays de la Transcaucasie et bien que le principe reste toujours le même, la tradition géorgienne apparaît comme étant la plus structurée, la plus codifiée et la plus riche, les traditions arménienne et azérie se différenciant seulement par quelques variantes propre à chacune de ces cultures.

La complexité du rôle du tamada, véritable maître de cérémonie et les qualités qu'il requiert font qu'on parle très souvent d'un « art du tamada » en tant que performance artistique. Alors quelle est l'origine de cette tradition, comment est-elle pratiquée d'un peuple à l'autre, quelle signification ou portée socio-culturelle a cette tradition du banquet? C'est ce que nous allons voir de suite dans une vue d'ensemble de la tradition dans chacun des trois pays de la Transcaucasie.

Origines

Dans les historiographies arméniennes et géorgiennes, on trouve la présence de banquets et de festins célébrés par les cours royales dès les touts premiers siècles de notre ère.

Chez les arméniens, on se souvient du banquet donné en l'honneur du roi Khosrov au IIIè siècle, où il trouvera la mort au cours de la chasse qui en suivit. Et les récits du Buzandaran recèle d'exemples de banquets donnés par les rois arméniens au cours du IVè siècle, notamment avec Arshak II et Pap. Cette tradition semble tout droit venue des perses de la cour des Arsacides qui l'auraient également initiée auprès des géorgiens.

L'idée de banquet en Géorgie est très intimement liée à leur grande culture du vin. Depuis la nuit des temps, les géorgiens ont un amour passionné pour le vin, qui selon une légende serait né de Géorgie, et lors de banquets ils le buvaient en l'honneur de leurs divinités.

Il est à noter au passage que le terme de « supra » pour désigner le banquet tire son origine du mot perse « sofreh » et qui signifie « couvrir la table »,.

Dans la forme que l'on connait aujourd'hui, la tradition du banquet date du début du XIXème siècle. Il existe deux sortes de supra: les supra festifs, pour des occasions telles que des anniversaires, des baptêmes, des mariages ou tout autre événement spécial, qu'on apelle « Keipi » et les supra où on commémore le décès d'un proche et qu'on apelle « Kelekhi ».

Peu importe la taille du banquet ou le nombre de convives, le supra obéit à un certain nombre de règles très strictes et très codifiées, dont le personnage central sera le Tamada, sorte de maitre de cérémonie du banquet, qui préside au bon déroulement du festin et au bien-être de ses convives, et régente le rituel des toasts.

Choix du tamada

Le supra est un élément socio-culturel incontournable dans la vie géorgienne et il est impossible de séjourner en Georgie sans expérimenter un supra, tant la tradition est forte dans le pays. Le supra apparaît aujourd'hui comme le dernier rempart face à la disparition progressive des traditions en Géorgie en ceci qu'il contient bien sûr tous les ingrédients qui constitue le repas traditionnel géorgien: khachapuri, khinkali, khartcho, adjapsandali, etc... mais également contient tous les éléments de la culture géorgienne: poésie, chants, danses, anecdotes et légendes se croisent au détour d'un toast sur tel ou tel thème, et offre une multitude d'indices sur la façon de penser des géorgiens, sur les statuts sociaux et les rapports entre les uns et les autres. Cependant l'enjeu primordial du rituel du supra reste d'affirmer sa virilité, notamment dans la lutte continue des convives et des maîtres de cérémonie pour résister aux effets de l'alcool. C'est tout cela que doit prendre en compte aussi le tamada lors de l'événement.

C'est pourquoi le tamada doit être bien choisi car le bon déroulement du banquet depend entièrement de ses qualités d'orateur et d'organisateur. Souvent il s'agira d'un homme qui a l'habitude de tenir ce rôle, un homme qui inspire l'autorité et le respect par sa prestance et par sa renommée dans le village ou la famille mais on pourra désigner parfois comme tamada aussi l'invité en l'honneur de qui est organisé ce supra.

On parle véritablement d'un « art du tamada » car celui-ci doit réunir de nombreuses qualités telles que: l'éloquence, le sens de l'humour, l'intelligence, la culture. Pour chaque toast proposé, le tamada doit faire preuve d'imagination, d'originalité et doit s'exprimer dans une belle langue. Il doit aussi faire preuve d'organisation car il doit décider quel toast proposer à quel moment, le rythme entre chaque toast, pour ne pas perdre l'attention des participants au cours de la soirée ( certains toasts peuvent durer entre 10 et 15 minutes) et pour veiller à ce que les convives ne soient pas ivres trop vite. Enfin il doit pouvoir aussi orchestrer les parties chantées et dansées. D'ailleurs il existe tout un répertoire musical spécialement fait pour les supra, ayant surtout pour origine la région de Kakheti, la grande région viticole de la Géorgie. Enfin et surtout le tamada doit être un bon buveur, tenir l'alcool car aucun des participants et surtout pas le tamada, ne doivent manifester un quelconque signe d'ébriété. Et même dans les régions du Nord géorgien, en Svanétie et Tusheti par exemple, il est extrêmement mal vu pour un tamada, de quitter la table pour aller aux toilettes, ce qui sera interpréter comme un mauvais signe.

Déroulement du supra

Une fois le tamada et les convives en place, on commence par manger de façon informelle, la table est alors remplie d'une multitude de plats traditionnels avant que ne vienne le moment de servir le vin et de trinquer. C'est là que débute vraiment le supra. Le tamada se lève et porte un premier toast.

L'ordre des toasts est très codifié mais varie selon l'événement et la région. Généralement le premier toast est pour la famille, vient ensuite un toast pour chacun des participants, un toast pour Dieu, un autre pour les morts, immédiatement suivi d'un toast pour les enfants, un toast pour la patrie et pour les héros qu'elle a engendrés, un toast à la paix, un autre pour les amis présents ou pas. Enfin le supra se termine toujours par un toast aux femmes, et à celles qui ont préparé le repas et un toast final à la promesse de se revoir bientôt. Chaque toast est accompagné d'un « gaumarjos » ( « victoire à » en géorgien), et tous doivent attendre la fin du toast avant de boire son verre « cul sec ». Dans les campagnes géorgiennes les femmes ne participent pas ou peu au supra, parfois elles ont une table qui leur est réservée mais dans tous les cas elles sont tenues de moins boire que les hommes, elles s'arrêtent de boire lorsqu'elles sentent que le vin fait effet. Le tamada boit souvent dans un qanci, une corne animale tandis que les autres boivent dans des verres à vin.

En Géorgie, pour les supra on ne boit que le vin et dans les supra urbains ( notamment à Tbilisi), on peut trouver aussi la vodka. Si le tamada propose le thème du toast, les convives peuvent intervenir et concurrencer les envolées lyriques et souvent humoristiques du tamada pour en prolonger l'idée, tout simplement en disant « alaverdi » et en demandant la permission au tamada.

Les poésies patriotiques et enflammées de Nikoloz Baratashvili et de Grigol Orbeliani viennent souvent ponctuer les toasts, ainsi que les chansons de Kakheti et d'Adjarie, faites spécialement pour ces occasions, notamment « Kakhuri Mravaljamieri » ( un hymne à la vie éternelle, pour souhaiter « longue vie » à tous les participants ) et « Makruli » ( chantée pour les mariages).

Pour les banquets de commémoration à un mort, le rituel est tant autant codifié. Ici pas de place pour les chants et les danses, mais des toasts entrecoupés de longs moments de silence et de recueillement. Les toasts sont alors appelés shesandobari, ce qui signifie « pour éternelle béatitude ». Ces banquets là ne peuvent être célébrés qu'en trois occasions: immédiatement après la mort, 40 jours et un an après. On propose des toasts à la mémoire du défunt, lui souhaite la paix éternelle puis à la mémoire des proches de la famille et des amis. Viennent ensuite les toasts pour les vivants réunis autour de la table car l'idée est de bien distinguer le monde des vivants de celui des morts. En général, dans ces banquets funéraires, une large place est faite dans les thèmes des toasts au surnaturel, au mystique et à la religion.

Parfois, le tamada est entouré d'assistants, surtout pour les supra de mariage où il peut y avoir jusqu'à 500 personnes. Dans ces cas-là, les assistants relayent le toast du tamada mot pour mot et veillent au bon déroulement de la soirée pour tous les convives. Le but de tout supra, c'est la convivialité, le fait de se retrouver tous ensemble, de boire à la santé de mais sans pour autant détruire la sienne. L'objectif de chacun est donc de ne pas montrer que le vin a un effet sur soi car selon l'imagerie populaire géorgienne, il faut rester assez sobre pour pouvoir se battre si un quelconque ennemi vient à l'attaque.

En Arménie et en Azerbaidjan

On retrouve cette tradition du supra et le rôle du tamada dans les autres pays de Transcaucasie avec le même principe d'un grand banquet autour d'une table en compagnie d'amis, de la famille et des invités en l'honneur de qui est organisé l'événement. C'est le même procédé quant à la désignation du tamada et de son rôle au cours de la soirée. Autour des plats qui sont servis, on retrouve cependant plus souvent la vodka et l'ordre des toasts varient un peu.

En Arménie chaque toast est ponctué d'un « kénats » et est adressé à chaque convive, lui souhaitant de bonnes choses, la santé, le bonheur,etc...D'autres toasts s'adressent à Dieu et il n'est pas rare d'entendre « Que Dieu prête longue vie à ceux qui s'aiment les uns les autres » ou encore « Que Dieu prête longue vie à nos ennemies qu'ils puissent être témoins de notre prospérité ». D'autres toasts évoquent la gloire du passé de l'Arménie et sont très patriotiques. Ces derniers temps un toast est toujours consacré au Karabagh, venant après le toast en mémoire à ceux qui sont disparus comme à ceux qui ont donné leurs vies pour la liberté de la patrie. Selon la tradition arménienne, durant toutes les célébrations les arméniens trinquent en l'honneur des mères mais aussi à la mère-patrie et aux ancêtres. Dans tous les toasts, l'idée générale est celle de souhaiter longue vie et santé à quelqu'un mais aussi de souhaiter l'abondance en tout, et d'abord abondance de la table et abondance de la boisson. Les arméniens préfèrent recourir également à des images pour exprimer une idée plus générale et n'hésitent pas à piocher dans les légendes et dans les mythes nationaux, notamment dans l'épopée épique David de Sassoun.

A celui qui a proposé le toast, le groupe répond « anoush » Comme chez les géorgiens, les toasts sont toujours proposés debout et quiconque veut intervenir doit d'abord en demander la permission au tamada. Pour les occasions plus tristes, selon la tradition arménienne, avant le début du banquet les verres sont retournés et au moment de boire on couvre le verre de la main pour qu'en trinquant il n'y ait pas de clinquement. Toujours selon la tradition, il faut attendre 40 jours avant de pouvoir commémorer le souvenir d'un mort et il faut verser du vin sur le pain ou par terre au moment du toast en « l'immortalité du défunt ». Et pour les baptêmes,il faut attendre qu'un prêtre ait béni la table pour commencer le banquet. Le religieux n'est jamais loin et comme chez les géorgiens, tout le rituel du banquet et le rôle du tamada n'est pas sans évoquer le dernier repas du Christ, le pain et le vin comme symbole de sa chair et de son sang, prélude à son sacrifice pour l'humanité afin d'offrir à cette dernière la possibilité de la vie éternelle et le pardon des péchés.

En Azerbaidjan, le Tamada remplit les mêmes fonctions que dans les deux autres pays de la Transcaucasie. Là aussi, son rôle est de divertir les invités, de créer une interactivité entre eux et leur fournir un certain bien-être. Les toasts portés peuvent durer une quinzaine de minutes et passent en revue toutes les composantes des valeurs azéries. Le tamada azéri puisent son inspiration dans le répertoire national par des anecdotes, des légendes, des proverbes, des blagues, des poésies mais aussi des épisodes de l'épopée nationale, des citations de littérature azérie ou des histoires amusantes du Mollah Nasreddin. A la fin de chaque toast le tamada dit généralement « Sağ ol », qui signifie « soyez en bonne santé » mais on entend plus souvent « sənin sağlığınal », « à ta santé » en français, surtout dans la région de Bakou.

L'ordre des toasts peut aussi varier selon l'événement fêté mais en général on commence par proposer un toast aux parents, aux pères et aux mères les « aghsaggal », ou sinon à l'invité étranger en premier s'il y en a pour respecter la longue tradition d'hospitalité azérie. Puis viennent les toasts à toutes les personnalités politiques, économiques et aux figures sociales qui ont marqué l'histoire de l'Azerbaidjan, aux écrivains et poètes, et d'autres toasts aux femmes qui ont permis que ce banquet soit un succès ( ce toast est toujours suivi d'un autre dédié à toutes les femmes et à toutes les mères). A ce moment là il n'est pas rare d'entendre un « Üstümüzdən əskik olmayasan », ce qui signifierait « Puissions-nous ne jamais manquer de votre guidance et votre attention ». De longs toasts sont consacrés à remercier Allah pour toutes les bonnes choses qu'il puisse offrir aux azéris ( comme la venue d'invités ou de lointains parents) et les guider de sa Sagesse au quotidien. Le tamada propose alors un toast en mémoire de ceux qui sont disparus, aux parents, aux proches, « que la Paix soit sur leurs âmes » et immédiatement enchaine par un toast pour la liberté au Karabagh, toast qui est apparu ces dernières années et on le retrouve dans toutes les cérémonies, aussi bien pour les mariages qu'enterrements ou toute autre fête. Ce toast en est suivi d'un autre pour le retour sur leurs terres des réfugiés azéris. En général le banquet se termine après une longue série de toasts consacrés à honorer chaque convive.

Chez les azéris, comme chez les autres, la seule condition au bon déroulement du banquet est de ne pas discuter avec son voisin, ne pas boire ni manger pendant qu'on propose un toast.


Portée socio-culturelle du banquet et du tamada

Le banquet en Transcaucasie n'est pas simplement l'occasion de réunir ses proches, boire et manger, et passer un agréable moment ensemble mais c'est une célébration ritualisée des valeurs et des traditions socio-culturelles d'un peuple et qui se veut le garant d'un monde du passé, comme une réaction conservatrice face à la modernité et à l'occidentalisation de la société. C'est particulièrement vrai pour la Géorgie où le banquet ou « supra » est très institutionnalisé. La forme du supra que l'on connait aujourd'hui en Géorgie date de la première partie du XIXè siècle et est très lié à la montée des nationalismes. Grigol Orbeliani , considéré comme le père spirituel du nationalisme géorgien a écrit ses poèmes comme des toasts commémorant la mémoire des héros nationaux et leurs actions. Les toasts aux banquets sont devenus très populaires à l'époque et se sont répandus dans toute la région, en réponse à la domination tsariste par une exaltation de l'identité nationale. Le banquet devient aussi la manifestation de la générosité et de la tradition d'hospitalité, autre trait culturelle des peuples de Transcaucasie. Pour les géorgiens, l'art de la rhétorique ici exalté est ici l'occasion de prouver leur amour pour leur langue, pas de place ici pour les insultes et le language trivial, seul est toléré le langage courant ou voire même soutenu, certaines formules se veulent d'une grande complexité grammaticale... Pour les garçons adolescents c'est un rite de passage, en proposant un toast et en buvant le vin, ils montrent qu'ils deviennent des hommes, de faire d'un étranger un allié par l'hospitalité, le supra est le lieu de l'expression de la virilité des hommes, en ne montrant pas les effets de l'alcool, en gardant toute sa maitrise de soi, en développant des qualités d'orateur, de conteur, d'amuseur mais en faisant preuve d'autorité pour se faire respecter. Le rôle de tamada est pour certains hommes qui ont vu leur position menacé comme chef de famille et membre respecté de la communauté par la perte de leur emploi, une manière de conserver un certain prestige auprès des autres. Les toasts sont là pour renforcer les valeurs nationales ( patrie, culture, song, histoire), aux femmes, aux valeurs familiales et à l'identité de groupe. Si les toasts peuvent aborder les thèmes de la politique et de la situation dans le pays, par contre ils ne peuvent contenir de critiques explicites, tout doit être implicite et fait avec beaucoup de subtilités pour conserver le caractère convivial et chaleureux du banquet.

Enfin les toasts impliquent une grande culture générale du pays, une grande connaissance de la poésie, des chansons et des talents rhétoriques mais implique aussi l'idée d'honneur.

De nos jours, surtout pour les banquets dits « urbains », on peut trouver dans le rôle de tamada des femmes. Dans ces cas-là, la tamada devra est une femme résistante physiquement, de tempérament énergique, mais surtout on lui demandera d'être très éduquée et d'avoir une bonne renommée dans la communauté ou dans la famille, pour les banquet plus restreint. Si ce phénomène commence petit à petit à se démocratiser, il reste encore toutefois assez marginal en milieu urbain et quasi-inexistant dans les campagnes de Transcaucasie. La plupart du temps, les femmes peuvent siéger à la table des hommes, être le sujet d'un toast plus que de proposer des toasts. En général, femmes et enfants mangent et boivent, en écoutant les toasts des hommes et en veillant à ce que la table soit toujours bien garnie.

Même en dehors de Transcaucasie on trouve la trace du tamada, notamment en Kazakhstan et Uzbekistan pour l'Asie Centrale, ainsi qu'en Russie et en Ukraine, mais sûrement plus dû à la présence d'une communauté géorgienne qu'à une véritable tradition ancestrale propre. Chez les iraniens, d'où tout est parti, si on organise pour tout un ensemble d'occasions de riches banquets il n'y a pas de tamada ou un quelconque équivalent. En Russie, le tamada est utilisé surtout pour les mariages et les juifs originaires de la Géorgie en partant pour Israel ont emmené avec eux la tradition du supra et du tamada, en laissant la plus grande part des toasts au judaïsme, à la gloire de Yahveh et d'Israel.

Aujourd'hui des tamada professionnels proposent leurs services pour des mariages ou des enterrements, c'est vrai pour tous les pays où on trouve cette tradition sauf en Géorgie où la tradition est tellement ancrée qu'il y a toujours dans la famille ou parmi les proches quelqu'un qui a une longue expérience du rôle et s'y acquitte parfaitement.

mercredi 23 mars 2011

Le multiculturel dans l'espace urbain: le POM 1, le Paris des arméniens

Qu'est-ce qu'un POM? En quelques mots, le POM est un Petit Objet Multimédia, un "média linéaire est basé sur un montage d'après des photographies uniquement, souvent articulé selon le choix d'un angle et d'une écriture spécifique, le point de vue de ses auteurs sert de fil conducteur. Une POM peut aussi développer une problématique ou apporter un éclairage complémentaire à une information d'actualité. De format court (entre 1' et 4'), il fait partie avec le webreportage, le webdocumentaire et la vidéographie, des « nouveaux médias » ou « nouveaux supports de l'information ». Dans le cadre du CFI, le thème était: le multiculturel dans l'espace urbain. C'est ainsi que j'ai choisi comme fil conducteur l'Arménie, avec pour synopsis une idée très simple: dans un clip vidéo de deux minutes, alliant plaquettes de présentation et parfois aussi explicatives et photographies originales, de montrer le Paris des arméniens, tous les lieux, toutes les enseignes et tous les monuments qui témoignent de la présence des arméniens dans la capitale.
Malheureusement certains lieux, comme la bibliothèque Nubarian, n'ayant pas d'enseignes à l'extérieur du bâtiment, ont été exclus de la vidéo. Il en résulte quand même de nombreuses photographies, essentiellement concentrées dans le quartier Cadet du IXè arrondissement de Paris, connu autrefois comme LE quartier arménien de Paris. Epiceries, restaurants, centre culturels et plaques commémoratives se succèdent, auxquelles j'ai ajouté celles de l'ambassade d'Arménie en France, la statue de Komitas, la librairie Samuelian et l'Eglise Apostolitique Arménienne entre autres, lieux incontournables pour les arméniens de Paris.
Chaque séquence sera dans la vidéo précédée d'une introduction sur l'histoire de la présence arménienne ou des personnages célèbres qui l'ont cotoyé. Mon parcours à travers tout Paris a eu pour fil conducteur l'Arménie et ce POM est inventaire de la présence arménienne dans la capitale. Il en manque surement d'ailleurs et ce petit travail m'a tellement plu que je projette dans un avenir très proche d'approfondir cette enquête. La bande-son sera composée d'une chanson de Tata Simonyan, intitulée "Sayat-Nova" et aux rythmes traditionnels arméniens.

Quant au POM 2, toujours sur le même thème, il s'appliquera à montrer le multiculturalisme du quartier Cadet (un de mes quartiers préférés dans Paris) au travers des enseignes de restaurants, librairies et épiceries arméniennes, chinoises, japonaises, arabes, libanaises et juives entre autres qui se côtoyent chaque jour...Bref il y a de quoi faire!!^^

Voici la vidéo du POM1 consacré à la présence arménienne dans Paris: ici
Et la vidéo du POM2

mardi 22 mars 2011

Cours CFI: L'interculturel et ses champs d'application



L'interculturel et en particulier le dialogue interculturel sont des termes qui sont omniprésents dans notre vie de tous les jours, on en entend parler constamment, sans forcément savoir de quoi il s'agit réellement et dans quels champs d'action ils s'appliquent. Bien souvent on confond "interculturel" et "multiculturel", deux termes qui sont pourtant dans les faits diamétralement opposés et une ambiguité demeure entre "interculturel" et "transculturel", ces deux termes là ayant certaines similitudes mais au final pas tout à fait les mêmes. Alors comment savoir ce qui est juste de ce qui ne l'est pas, existe-t-il une définition précise de "l'interculturel" et quels sont ses champs d'application?

C'est ce à quoi a tenté de répondre Morgan Marchand dans son cours sur l'interculturel et ses champs d'application. Après avoir donné une définition pragmatique de l'interculturel, il définit également ce qu'est la culture et sa problématique, au travers de l'iceberg de Kohl, et retrace rapidement les grandes étapes de cette discipline qu'est les cultural studies, discipline assez récente puisque datant de la toute fin du XIXè- début du XXè siècle. Il met aussi l'accent sur les travaux de Edward T.Hall, considéré comme le pionnier des études interculturelles.

Puis il évoque les principaux champs d'application, de l'anthropologie culturelle à la médiation et communication interpersonnelle. Dans un troisième temps, il aborde la pédagogie interculturelle prônée par Martine Abdullah-Pretceille dans son "éducation interculturelle" et s'arrête un moment sur le champ d'application dans la psychologie clinique, par ce qu'on appelle l'ethnopsychiatrie avec deux spécialistes: Georges Devereux et Tobie Nathan. Vient ensuite le champ du management interculturel et de la recherche de la disparition des contrastes culturels au sein du monde de l'entreprise, domaine que l'intervenant connait bien pour être consultant expert-pays et coach interculturel pour de grands groupes internationaux.

Dans la dernière partie du cours, Morgan Marchand évoque l'interculturel dans la société avec Emmanuel Toddd, les classifications culturelles dans les modèles familiaux et enfin, ce qu'on appelle les civilisationnistes, plus que jamais d'actualité aujourd'hui, dont le plus célèbre reste Samuel Huntington et son "Choc des civilisations". Le cours a ceci d'essentiel qu'il apporte un éclairage concis sur une discipline nouvelle, dont on parle finalement beaucoup sans vraiment savoir à quoi ça correspond. On se familiarise avec des termes de sociologie pas toujours faciles d'accès et on se rend compte que l'interculturel est aujourd'hui un facteur essentiel de la compréhension et de l'harmonie entre les personnes et qu'il s'applique à tous les domaines ou champs d'action, à tous les niveaux.

Je vous propose de consulter mes notes du cours de monsieur Marchand ici

dimanche 20 mars 2011

Expertise culturelle: la communauté Hamshen

En quoi consiste le travail d'expertise culturelle? Tout simplement dans le fait d'explorer et d'analyser tous les aspects concernant un groupe réuni autour d'un même thème, d'une même idée ou croyance,et décrire un cadre de référence de la communauté à travers quatre grands axes centraux: référence à des emblèmes, référence à des normes et valeurs, référence à des croyances et connaissances, référence à une mémoire collective. Mon choix s'est alors porter vers une communauté vivant au Nord-Est de la Turquie, les Hamshens ou Hemşinli, d'origine arménienne et convertis en grande partie de force à l'Islam entre les XVIIè et XIXè siècle, et voir comment se construit aujourd'hui l'identité de cette communauté, symbole du phénomène d'acculturation dont on nous parle souvent aujourd'hui, quelles en sont les composantes culturelles et quel regard portent turcs et arméniens sur elle. Mon expertise s'est articulée autour de quelques grands thèmes: histoire, traditions, culture et problématiques autour de l'identité.

Histoire: la famille princière arménienne des Amadouni accompagnée de 12.000 paysans, pour échapper aux persécutions financières et religieuses des arabes, fuit la région du Sud du lac de Van au VIIIè siècle pour venir s'installer dans la région montagneuse des Alpes Pontiques, face à la Mer Noire, sur le versant le plus haut du mont Kaçkar. De cette région constituée de haut-plateaux et jalonnées de vallées couvertes de forêts profondes que traverse la rivière Fırtına,la communauté y donnera son nom, du fondateur de la ville Hammamshen, Hammam, fils du prince Amadouni et qui conduira au fil des siècles à appeler la région Hamshen pour les arméniens et dès le XVIè siècle sur les documents officiels ottomans Hemşin . Voisins des lazes de Géorgie dont ils vont adopter le mode de vie, jusqu'au XVIè siècle les Hamshens vivent paisiblement, sur un territoire semi-indépendant malgré la domination ottomane et le monastère Sourb Khatch est un centre culturel chrétien très actif. Mais l'affaiblissement du pouvoir ottoman conduit les autorités à convertir de force les populations chrétiennes de la Mer Noire et si pour les grecs pontiques et les lazes, la conversion s'effectue de façon relativement rapide, il en est autrement pour les Hamshens. Ceux qui vivent aux côtés des lazes, en bas des vallées, se convertissent sans trop de résistance, pour des raisons financières essentiellement mais plus on monte en altitude et plus la résistance des chrétiens est forte et les turcs massacrent ceux qui refusent de se convertir. L'opération durera 200 ans, provoquera la fuite de milliers d'Hamshens vers l'Est et la région de Artvin et un schisme au sein de la communauté. La guerre turco-russe de 1874 achevera ce processus d'exil avec le départ de nombreux hamshens vers la Géorgie et le Sud-Est de la Russie. Aujourd'hui la communauté Hamshen est scindée en trois groupes: ceux de la région de Rize, turcophone et musulmans, ceux de la région de Artvin arménophones et musulman, et ceux de Géorgie et de la région russe de Krasnodar, arménophones et chrétiens.

Traditions: c'est une communauté pastorale et agricole, patriarcale où les hommes partent en ville pour travailler tandis que les femmes restent dans les montagnes à cultiver le thé, les agrumes et s'occuper de l'élevage bovin. Ils sont réputés pour leurs anecdotes et leur humour, leur gentillesse mais aussi leur rudesse de caractère et leur solitude. Enfin ils sont de très bons commerçants, boulangers, transporteurs de marchandises, tenanciers d'hôtels et de salons de thé mais du fait de conditions naturelles difficiles ( une brume épaisse quasi-permanente et des pluies abondantes), ils ont la réputation d'être de grands joueurs et surtout d'être les plus grands buveurs de raki de toute la Turquie.
Langues: ceux de la région de Rize parlent un dialecte turc, composé d'une grande base lexicale arménienne et quelques mots lazes et ceux de la région de Artvin et de Géorgie/Abkhazie/ Krasnodar parlent un dialecte de l'arménien occidental, le homshetsma, où on retrouve de nombreux mots turcs.

Culture: la culture hamshen est essentiellement basée sur les arts de la danse et de la musique, d'ailleurs les deux sont intimement liés. On y danse le horon ou un koçari, emprunté aux arméniens et aux lazes, sur une musique jouée à partir de tulum ( sorte de cornemuse), de kemençe (sorte de lyre grecque) et de ney ( variante de flute). Le tout donne un ensemble festif et joyeux, propice aux fêtes estivales de vartevor, réminiscence de la fête arménienne de vartavar, entre autres. Pas de littérature écrite mais seulement une littérature orale, transmise à la jeune génération par les anciens et faite de mythes et légendes. La cuisine est celle des montagnards, seules des produits tels que le thé, le miel, les anchois, le beurre et le fromage fabriqué localement attestent d'une spécificité de la région. Elle se situe en gros entre la cuisine turque et géorgienne. L'architecture se démarque du reste et affirme une singularité avec des constructions en bois, les serender, où sont entreposées les nourritures et les yayla, batisses de bois et de pierres, véritables résidences secondaires construites tout près des sommets des montagnes. Enfin, le cinéma commence à voir arriver, depuis le début des années 2000, une génération de jeunes cinéastes hamshens et quelques films sur la communauté et en langage homshetsma, citons par exemple "momi", "sonhabar" ou le film en turc "Yüreğine sor" sorti l'an dernier.

Identité: une même communauté pour trois groupes distincts avec peu de contact entre eux et donc forcément une identité conflictuelle quant à leur origine. Certains rejètent purement et simplement leur origine arménienne, se revendiquant plus turc que les turcs, d'autres reconnaissent leur origine mais se sentent profondément turc et d'autres encore revendiquent leur arménité. Aujourd'hui le facteur religieux, l'islam, fait partie intégrante de leur identité et aucun ne renie cette religion, même après avoir eu connaissance de son origine arménienne. Beaucoup d'hamshens chrétiens vivant en Géorgie et en Abkhazie, s'ils se savent arméniens, ignorent très souvent qu'ils viennent de la région de Hemşin. Enfin, il y a une relation très conflictuelle avec l'Arménie, qui voit en eux des frères arméniens mais aussi des traitres du fait qu'ils sont devenus musulmans, et du côté turc, les Hamshens sont très souvent confondus avec les lazes et considérés comme des paysans, des arriérés. Pas évident donc de trouver sa place avec tout ça mais ils ont su, au fil des siècles, conserver leurs particularités en y incorporant à une origine arménienne de base des éléments lazes, une nouvelle religion l'Islam et une appartenance ethnique nouvelle à la Turquie.

Le cadre de cette expertise culturelle étant restreint, je n'ai pas encore pu découvrir toutes les richesses que cette communauté renferme en elle et mériterai qu'on se penche plus sérieusement. De nombreuses études scientifiques, linguistiques et universitaires sont actuellement en cours en Turquie, en Arménie mais aussi aux USA et Russie. Et une série de conférences sur la trajectoire de vie singulière de ces arméniens musulmans s'est tenue en juillet 2008 à Yerevan.

P.S: A noter que dans le cadre de mon cursus "Communication et Formation Interculturelle", je travaille à la mise en place d'une exposition-photo ayant pour thème la communauté Hamshen, et qui devrait voir le jour dans le courant de la deuxième moitié de l'année 2012.

vendredi 18 mars 2011

Րաֆֆիի հացադուլը խառնել է իշխանությունների եւ ՀԱԿ-ի խաղաքարտերը


Ազատության հրապարակ այցելելուց հետո անպայման ուզում ես անդրադառնալ այնտեղ հնչող զուռնա-դհոլին ու հենց Րաֆֆի Հովհաննիսյանից մի 10 մետր հեռավորությամբ աշխատող ատրակցիոնին, որը սղոցով փայտ կտրելու ձայն է հանում: Մի քանի րոպե այնտեղ կանգնելուց հետո զգում ես, որ ուղեղդ «սղոցվել» վերջացել է:

Ես գիտեմ, որ Րաֆֆին կարող է դիմանալ առանց ուտելիքի, բայց այս ձայներին եւ զուռնա-դհոլին չի կարողանա դիմանալ: Ոստիկաններն արգելել են վրան դնել. չեն ուզում, ու վերջ: Սա, իհարկե, ոստիկանների որոշելիք հարցը չէ: Վրանի հարցով էլ է երկրի նախագահը զբաղվում:

Հացադուլից հետո Րաֆֆին դարձավ նախ ՀԱԿ-ի, հետո նոր միայն իշխանությունների թշնամին: Նրա այս քայլից անակնկալի են եկել եւ իշխանությունները, եւ ՀԱԿ-ը: Դրա համար երկուսն էլ իրենց մամուլում ուղղակի «ոչնչացնում են» Րաֆֆիին:

Լեւոն Տեր-Պետրոսյանը չի կարող «տանել» մի իրավիճակ, որում հիմնական դերակատարումն իրեն չէ վերապահված, քանի որ, բնականաբար, հրապարակի հերոսն ինքը պետք է լինի: Եվ հիմա խախտվել է մի բան. ինքը նույնիսկ չի մտածում Րաֆֆիին մոտենալու մասին, հիմա ինքն ավելի մեծ գործ ունի. ճանապարհ է հարթում դեպի խորհրդարան` դեպի բիզնեսի բորսա:

Ազատության հրապարակի հացադուլակից հատվածում կանգնած` նայում էի Րաֆֆիին մոտեցող մարդկանց: Կարելի է ասել` հոսքը շարունակական է: Րաֆֆիի կողքին նստած՝ որդին ինչ-որ բան էր ընթերցում հոր համար: Խմբերով կանգնած մարդիկ ինչ-որ բաներ են քննարկում: Ամենաաղմկոտը գրողների միության նախկին պահակի խումբն էր. նրա ձայնը երբեմն նույնիսկ խլացնում էր զուռնա-դհոլին:

Երիտասարդների մի խմբում էլ երկու հոգի թեժ վիճում էր. « …Ախպեր, Լեւոնը հեղափոխություն անողը չի, նա թռնող է, Մարտի 1-ին էլ թռավ: Հեղափոխության առաջնորդը ինչի՞ պիտի թռներ, կարա՞ս ասես: Ու հիմա նորից եկել, ասում ես` կլինի, էս ա կլինի: Անցած անգամ ասիր` մարտի 17-ին կլինի: Հիմա էլ ասում ես` ապրիլին: Նենց որ, Լեւոնի անունը մի տուր: Հիմա որ ասում է` Րաֆֆին սխալ է արել, լավ, ընդունենք` սխալ է արել: Էդքան քաղբանտարկյալ կա, դե թող Լեւոնը հացադուլ աներ, ինչո՞ւ չի արել, թող գնա հիմա Նիկոլի համար հացադուլ անի: Ես ճանապարհ եմ ցույց տալիս, թող հավաքվեն Դեմիրճյանով, Արամով, Հովհաննես Հովհաննիսյանով գնան հացադուլ անեն, ես էլ կգամ հետները կնստեմ: Լավ, մի բան անելո՞ւ եք: Հավայի բերելու եք էս սոված ժողովրդին ստեղ, հետո ասելու եք` գնացեք տուն »:

«Տուֆտայություններ են դուրս տալի, ընկեր: Էդ ճանապարհ չի, ի՞նչ հացադուլ անի. հացադուլով հարց չես լուծի: Լեւոնը լավ էլ գիտի. քայլ առ քայլ սրանց թուլացնելու ենք, ու միանգամից է լինելու սրանց քցելը: Հիմա էլ ժողովրդի մեջ տարածում են, որ Լեւոնն իշխանությունների հետ համագործակցում է: Ստեղ են ասել` տո լավ է… , հանցագործների հետ ո՞նց ես պատկերացնում համագործակցելը»,- ասաց մյուս երիտասարդը:

Նրանք շարունակում էին մեկը մյուսին հակադարձել, իսկ ես էդ ատրակցիոնի ու զուռնա-դհոլի ձայնին չդիմացա:

jeudi 17 mars 2011

Sayat-Nova: un pont entre trois civilisations


Sayat-Nova est bien plus qu'un troubadour mais un grand poète-musicien, véritable pont entre trois civilisations: azérie, persane et arménienne. Sa vie aussi tragique qu'épique donne une dimension légendaire au personnage.
Né en 1712, dans une famille de paysans du village de Sanahin, non loin de Tiflis, en Géorgie, Haroutioun Sayakian deviendra célèbre c'est sous le nom de Sayat Nova (en persan : roi des mélodies).
Dès son plus jeune âge, il se fait remarquer par sa belle voix et la finesse de ses chants ainsi que pour la virtuosité de son jeu au kamantcha, son instrument de prédilection. De plus, il manifeste un engouement particulier pour la poésie chantée et sa renommée se fera autant pour ses compositions que pour ses écrits.
Dès lors, la famille Sayakian quitte le village natal pour rejoindre Tiflis (aujourd'hui Tbilissi), capitale du royaume de Géorgie et un des haut-lieux de la littérature, de la musique et de la culture arménienne à l'époque. Comme de très nombreux autres Arméniens de Tiflis, il travaillera comme artisan-tisserand dans des fabriques de tapis caucasiens très réputées, en particulier celles de facture arménienne.

Il côtoie alors les troubadours les plus célèbres pour l'époque - les goussans ou աշուղ en arménien-, d'autant plus que cette région du Caucase est par tradition le lieu des confrontations et des joutes musicales . D'abord connu sous le nom de Gusan Haroutioun, il prendra plus tard le nom de Sayat-Nova (Սայաթ-Նովա en arménien, Səyyad Nova en azéri et سید‌ نوا en persan) et étendra sa notoriété grâce à la beauté de ses compositions au kamantcha mais aussi grâce à sa maîtrise des langues arménienne, géorgienne, persane et azerie.
Il composera des chants et écrira des poèmes dans chacune de ces langues, les alternant même d'un couplet à un autre. L'usage de ces différentes langues apaisera, pendant quelques temps, les tensions communautaires déjà présentes à l'époque dans la cité cosmopolite géorgienne. Son talent conduira le roi de Géorgie, Irakli II, à le nommer musicien et poète officiel du royaume et même conseiller pour les affaires de politique extérieure, notamment en forgeant une alliance entre l'Arménie, la Géorgie et le Shirvan contre l'Empire Perse.
C'est à ce moment que commence la tragédie Sayat-Nova, lorsqu'il tombe amoureux de la princesse Anna Batonachvili, la sœur du roi. Devant cette union qui se profile, le roi inquiet pour l'avenir de son royaume va le bannir de la cour royale. Brisé, il erre dans la région,entre l'Iran, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, comme barde itinérant, pleurant sa bien-aimée et son amour impossible pour elle.Il revient quelques temps plus tard à la cour du roi géorgien puis expulsé à nouveau,définitivement cette fois-ci. Ordonné Vartapet, moine par sentence royale, il devient en 1759 Stepanos, officie dans plusieurs monastères de la région de Tiflis, épouse Marmar qui mourra quelques années plus tard lui laissant quatre enfants. Il passe la fin de sa vie au monastère de Haghbat, au Nord de l'Arménie et sera assassiné en 1795 par les conquérants perses d'Agha Mohammed Khan, la gorge tranchée selon la légende et enterré à Tiflis, dans la cathédrale St Georges.

Au nombre d'environ 220, ces œuvres resteront de tradition orale jusqu'au XIXe siècle, avant d'être retranscrites et fixées sur partition. Ses œuvres font actuellement partie intégrante du patrimoine musical traditionnel arménien, bien que la majeure partie de ses poèmes ait été écrite en géorgien ( 65 odes) et surtout en azéri ( 128 odes), la lingua franca de l'époque dans la région . Sayat Nova est le troubadour le plus connu et le plus vénéré de tous les arméniens. Récemment les éditions de l'Harmattan ont publié un recueil de ses 47 odes améniennes en version bilingue, français-arménien. Malheureusement ce qui était considéré comme un lien fort entre les trois nations du Caucase est aujourd'hui une source de dissensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan particulièrement
En 1969, le cinéaste russe d'origine arménienne Paradjanov mettra en images l'histoire de la vie de Sayat-Nova dans le long-métrage Sayat-Nova: couleur grenade,qui restera son chef-d'oeuvre.
Et quelques années auparavant, en 1960, les studios HayFilm produirent un film retraçant la vie du goussan dont voici un extrait: Sayat-Nova