jeudi 17 mars 2011

Sayat-Nova: un pont entre trois civilisations


Sayat-Nova est bien plus qu'un troubadour mais un grand poète-musicien, véritable pont entre trois civilisations: azérie, persane et arménienne. Sa vie aussi tragique qu'épique donne une dimension légendaire au personnage.
Né en 1712, dans une famille de paysans du village de Sanahin, non loin de Tiflis, en Géorgie, Haroutioun Sayakian deviendra célèbre c'est sous le nom de Sayat Nova (en persan : roi des mélodies).
Dès son plus jeune âge, il se fait remarquer par sa belle voix et la finesse de ses chants ainsi que pour la virtuosité de son jeu au kamantcha, son instrument de prédilection. De plus, il manifeste un engouement particulier pour la poésie chantée et sa renommée se fera autant pour ses compositions que pour ses écrits.
Dès lors, la famille Sayakian quitte le village natal pour rejoindre Tiflis (aujourd'hui Tbilissi), capitale du royaume de Géorgie et un des haut-lieux de la littérature, de la musique et de la culture arménienne à l'époque. Comme de très nombreux autres Arméniens de Tiflis, il travaillera comme artisan-tisserand dans des fabriques de tapis caucasiens très réputées, en particulier celles de facture arménienne.

Il côtoie alors les troubadours les plus célèbres pour l'époque - les goussans ou աշուղ en arménien-, d'autant plus que cette région du Caucase est par tradition le lieu des confrontations et des joutes musicales . D'abord connu sous le nom de Gusan Haroutioun, il prendra plus tard le nom de Sayat-Nova (Սայաթ-Նովա en arménien, Səyyad Nova en azéri et سید‌ نوا en persan) et étendra sa notoriété grâce à la beauté de ses compositions au kamantcha mais aussi grâce à sa maîtrise des langues arménienne, géorgienne, persane et azerie.
Il composera des chants et écrira des poèmes dans chacune de ces langues, les alternant même d'un couplet à un autre. L'usage de ces différentes langues apaisera, pendant quelques temps, les tensions communautaires déjà présentes à l'époque dans la cité cosmopolite géorgienne. Son talent conduira le roi de Géorgie, Irakli II, à le nommer musicien et poète officiel du royaume et même conseiller pour les affaires de politique extérieure, notamment en forgeant une alliance entre l'Arménie, la Géorgie et le Shirvan contre l'Empire Perse.
C'est à ce moment que commence la tragédie Sayat-Nova, lorsqu'il tombe amoureux de la princesse Anna Batonachvili, la sœur du roi. Devant cette union qui se profile, le roi inquiet pour l'avenir de son royaume va le bannir de la cour royale. Brisé, il erre dans la région,entre l'Iran, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, comme barde itinérant, pleurant sa bien-aimée et son amour impossible pour elle.Il revient quelques temps plus tard à la cour du roi géorgien puis expulsé à nouveau,définitivement cette fois-ci. Ordonné Vartapet, moine par sentence royale, il devient en 1759 Stepanos, officie dans plusieurs monastères de la région de Tiflis, épouse Marmar qui mourra quelques années plus tard lui laissant quatre enfants. Il passe la fin de sa vie au monastère de Haghbat, au Nord de l'Arménie et sera assassiné en 1795 par les conquérants perses d'Agha Mohammed Khan, la gorge tranchée selon la légende et enterré à Tiflis, dans la cathédrale St Georges.

Au nombre d'environ 220, ces œuvres resteront de tradition orale jusqu'au XIXe siècle, avant d'être retranscrites et fixées sur partition. Ses œuvres font actuellement partie intégrante du patrimoine musical traditionnel arménien, bien que la majeure partie de ses poèmes ait été écrite en géorgien ( 65 odes) et surtout en azéri ( 128 odes), la lingua franca de l'époque dans la région . Sayat Nova est le troubadour le plus connu et le plus vénéré de tous les arméniens. Récemment les éditions de l'Harmattan ont publié un recueil de ses 47 odes améniennes en version bilingue, français-arménien. Malheureusement ce qui était considéré comme un lien fort entre les trois nations du Caucase est aujourd'hui une source de dissensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan particulièrement
En 1969, le cinéaste russe d'origine arménienne Paradjanov mettra en images l'histoire de la vie de Sayat-Nova dans le long-métrage Sayat-Nova: couleur grenade,qui restera son chef-d'oeuvre.
Et quelques années auparavant, en 1960, les studios HayFilm produirent un film retraçant la vie du goussan dont voici un extrait: Sayat-Nova