dimanche 29 mai 2011

Alexandre Khatissian et la Première République d'Arménie



Aujourd'hui est commémorée en diaspora le 28 mai 1918, date de l'indépendance de la Première République d'Arménie. Revenons sur les événements qui vont conduire à cette déclaration d'indépendance au travers de la vie politique d'un homme: Alexander Khatissian.

Alexander Khatissian est né à Tbilisi le 17 février 1874. Il étudie la médecine dans les universités de Moscou et Kharkov puis part terminer ses études en Allemagne. Il revient en 1900 à Tbilisi et en 1902, il commence une carrière politique en tant que porte-parole du conseil municipal de Tbilisi avant d'en devenir maire entre 1910 et 1917. Il sera le dernier maire arménien de la ville. En 1914, il prend la direction du Comité caucasien de l'Union des maires et est l'un des organisateurs de l'aide aux réfugiés arméniens venus de Turquie. Entre 1915 et 1917, il est élu à la tête du Conseil national arménien à Tbilisi.



Après la Révolution d'Octobre en Russie, la Transcaucasie (Arménie, Azerbaidjan, Georgie) en réaction crée un Commissariat transcaucasien en novembre 1917 avec à sa tête Noé Jordania, Kadjaznouni et Khatissian entre autres,et un parlement transcaucasien Seim en février 1918 qui proclame l'indépendance de la République Démocratique de Transcaucasie sous la pression des turcs qui progressent dangereusement dans le Caucase, ayant pris le contrôle de Batoumi. Pour Khalil Bey, l'indépendance de la Transcaucasie est une condition sine qua none à toute négociation de paix. En mars 1918, à Trébizonde est envoyée une délégation arménienne avec Khatissian et Kadjaznouni pour signer le traité de Batumi. Cependant les turcs reprennent leurs offensives et se dirigent vers Tbilisi et Yerevan. Les géorgiens cherchent la protection de l'Allemagne et l'Azerbaidjan celle des turcs. L'Allemagne impose aux géorgiens de quitter la coalition de Transcaucasie, de prendre son indépendance en tant que République pour lui offrir sa protection, ce qu'elle va faire le 26 mai. Le lendemain, c'est l'Azerbaidjan qui proclame son indépendance dans une chambre d'hôtel à Tbilisi. Dans la panique, Khatissian veut l'indépendance et négocier avec les turcs immédiatement. Simon Vratsian, l'un des membres fondateurs du parti y est favorable mais une partie des dashnaks y sont opposés. Finalement, après de longues heures épuisantes de débats, le 28 mai 1918 l'Arménie est le dernier pays de Transcaucasie à proclamer son indépendance, quelques heures avant la fin de l'ultimatum turc et une délégation composée de Katchaznouni, Khatissian et Papadjanian sont envoyés à Batoumi conclure la paix avec les turcs.

Le Conseil National Arménien se dote alors d'un gouvernement, dominé par la présence de dashnaks et dirigé par Hovhannes Katchaznouni. Le 30 mai est publiée la déclaration suivante:

"Devant la situation nouvelle crée par la liquidation de l'entité politique transcaucasienne et les proclamations d'indépendance de la Géorgie et de l'Azerbaidjan, le Conseil National Arménien se déclare la seule et supreme autorité sur les provinces arméniennes." Notons que ni les mots "indépendance", "arménie" et " république" ne sont prononcés, ce qui montre bien que le Conseil a agi sous la pression des événements, que les convictions idéologiques n'ont joué aucun rôle dans sa décision. D'ailleurs à yerevan , il n'y a aucune effusion de joie à l'annonce de cette indépendance, dans une Arménie acculée de toute part, par les réfugiés du Génocide, les paysans miséreux et la progression constante des turcs. Puis prié de quitter la capitale de la nouvelle République de Géorgie, le Conseil se transfère à Yerevan en juillet. Là, on écrit en toute hâte un hymne "mer hayrenik" et crée un drapeau tricolore: rouge, bleu, orange, rappelant les armes des Lusignans, dernière dynastie du royaume arménien diasporique de Cilicie.

Pourtant, dans les derniers jours de mai 1918, un événement militaire va redorer le blason arménien et souder la nation: la "victoire" de Sardarabad.

Entre le 21 et le 28 mai, simultanément à Karakilissé sous le commandement du général Nazarbekian, et à Sardarabad, sous le commandement des généraux Silikian et Beg Piroumian, les arméniens vont réussir à stopper la progression de l'armée ottomane. A Batoum, Vehib Pacha confiera à A. Khatissian que la "fougue, le courage et la valeur" dispensés pendant la bataille de Sardarabad, lui avaient rappelé les combats les plus opiniâtres des Dardanelles. Khatissian confirmera plus tard que les batailles de Sardarabad et Karakilissé avaient donné "à notre peuple cet esprit guerrier et cette volonté qui sont indispensables pour former un Etat indépendant". Cet événement marquera les esprits et deviendra très vite un mythe. Mais cette victoire ne peut masquer la réalité d'un pays multi-ethnique en proie à de graves crises, politique et financière, livré à lui-même, d'une superficie de 11.000 m2 de hauts-plateaux, de montagnes arides et de steppes centré autour de Yerevan. Les frontières ne sont pas clairement définies entre l'Arménie et l'Azerbaidjan, ce qui va poser beaucoup de problemes par la suite.

Alexander Khatissian jouera un rôle très important pendant la courte durée de cette première république, tout d'abord en tant que ministre des Affaires Etrangères, de novembre 1918 à août 1919 où il devient le Premier Ministre de la République d'Arménie, jusqu'en mai 1920. Là, il prend la tête de la Délégation arménienne en diaspora pour trouver des fonds et soutenir financièrement la jeune République mais le 2 septembre 1920, le gouvernement est renversé et remplacé par les bolcheviks arméniens. Khatissian s'installe alors à Paris où il poursuit son rôle de président de la Délégation arménienne. En décembre 1920, Le gouvernement de coalition dirigé par Dro déclare Khatissian "libre de signer ou de ne pas signer le traité", ce traité qui laisse une Arménie à 27.000 km2, sans Kars, Nakhitchevan et Zanguezour, et Khatissian conscient des lourdes responsabilités qui pèsent sur lui: renoncement au traité de Sèvres, aux provinces d'Arménie occidentale et une armée arménienne réduite à 1.500 hommes. Pressée par les populations arméniennes de signer la paix, il signe le traité d'Alexandropol la mort dans l'âme dans la nuit du 2 ou 3 décembre. Avec la soviétisation de l'Arménie vient le temps de l'épuration qui n'épargne pas les dirigeants politiques dont Khatissian qui, avec quelques autres, est autorisé à s'exiler en Géorgie. De là il rejoindra Paris. En 1922-1923, il est présent à la Conférence de Lausanne aux côtés d'Avedis Aharonian pour exposer et défendre les intérêts de la nation arménienne auprès de la Société des Nations. Il meurt à Paris le 10 mars 1945 et est enterré au Père Lachaise.